quinta-feira, 9 de maio de 2013

Pensar Nove Décadas de Amizade (nº 18): Françoise Laye*



Françoise Laye

Une profonde amitié, de plus de vingt années, me donne tout d’abord une image extraordinairement lumineuse d’Eduardo Lourenço. Un esprit au plus haut point percutant, qui sa vie entière s’est attaché à construire une Europe… «por achar», tout autant qu’à démolir les mythes et fantasmes élaborés par le salazarisme ; un esprit passionné et d’une lucidité redoutable, qui enjambait pour ainsi dire les siècles pour retrouver les liens les unissant et tisser le fil rouge de notre histoire ; un esprit à la vision si large que le lecteur découvrait des perspectives totalement insoupçonnées, non sans sourire au passage d’un trait d’humour, décoché d’une main légère sur le sujet le plus sérieux. Oui, Eduardo Lourenço, figure essentiellement lumineuse, dont l’amitié, au fil des années, m’a été infiniment précieuse.
Mais aussi, m’a-t-il souvent semblé, un être recelant beaucoup d’ombres. Elles apparaissent, fugitives, dans certaines pages de son Journal, hélas inédit, telles des formes passant, furtives, au fond de quelque lac obscur ; tristesse, mélancolie, « sentiment tragique de la vie », saudade d’on ne sait quelle patrie – tout cela et bien d’autres couches sombres de l’être, qu’Eduardo Lourenço explorait tout aussi bien que Pessoa (qu’il a su analyser comme personne), mais dont il a beaucoup moins parlé. Pour moi, cette face obscure, seulement entrevue, est comme l’envers silencieux de cet écrivain à l’œuvre si éclatante ; une musique assourdie qui accompagne une pensée alerte, sans cesse en mouvement, et qui fait d’ Eduardo Lourenço cet être double – lumière offerte aux yeux de tous, et part cachée d’une sensibilité pudique et douloureuse, qui nous émeut profondément et qui rejoint en nous cette part, incommunicable, des domaines les plus secrets de l’ombre.



*Françoise Laye, tradutora em língua francesa do Livro do Desassossego de Fernando Pessoa.
Texto inédito enviado gentilmente pela Autora para Ler Eduardo Lourenço.